Théories d’élevage
Élever, feeling et statistiques
Des centaines de chevaux naissent tous les ans pour des raisons diverses et selon des méthodes encore plus variées.
Toutes les tentatives de rationalisation se heurtent aux éternels exemples de ceux qui ont fait naître un champion en faisant n’importe quoi et en appelant cela feeling après coup.
Je pense que c’est un tort et que se pencher sérieusement sur un croisement est passionnant.
Les gens qui bossent
Nos amis les Pur-sang
Il existe un milieu où les sommes en jeu sont telles que l’on ne fait plus n’importe quoi depuis des siècles : les pur-sang de galop.
Le Pur-sang est sélectionné pour la course depuis le 17ème, les origines sont connues et étudiées avec passion par des centaines de personnes dont les plus grandes fortunes de la planète. Investisseurs qui ont, depuis la naissance de la statistique, payé des professionnels pour chercher des méthodes aptes à limiter les risques. Ces derniers sont aidés par le fait qu’un PS ne doit faire qu’une chose : courir le plus vite possible d’un point A à un point B, l’importance du couple cheval/cavalier est minimisée, la qualité de l’entrainement reste par contre essentielle.
Ces cerveaux ont établi sur des bases statistiques solides (des corrélations supérieures à 80%) quelques théories d’élevage dont la moindre des politesses est de s’inspirer ou du moins de connaître.
Je vais faire ici un résumé de mes préférées, du moins de celles que j’utilise dans mes choix d’étalons et de poulinières.
Les évidences
En étudiant des milliers de résultats en courses une donnée claire est apparue : les gagnants font des gagnants. Il est statistiquement prouvé que l’on a plus de chance d’obtenir un bon cheval en croisant un mâle gagnant en course avec une femelle ayant elle aussi gagné, c’est con comme la lune mais personne ou presque ne le fait. Bien évidemment, il existe moult gagnants en course issu d’un ou deux parents ayant peu ou pas gagné, mais statistiquement, en ne croisant pas des gagnants on réduit ses chances de succès.
Dans les chevaux de dressage, il est facile d’avoir de la semence de champion mais c’est souvent moins glamour que le nouveau top model de 5 ans qui trotte avec les pattes au-dessus des oreilles, ce sont des chevaux plus vieux qui ont des qualités et des défauts.
Qui a osé mettre Baloubet du Rouet au début de sa carrière d’étalon alors que tout le monde savait qu’il fallait 2 personnes pour le tenir à l’entrée de la piste?
Il est beaucoup plus difficile de garder les championnes à l’élevage, d’abord parce qu’une vraie championne cela vaut beaucoup d’argent et qu’il est difficile de dire non à une offre mirobolante, ensuite une championne concours souvent jusqu’à 15 ans et donc produira peu de poulains.
Il y a une exception statistique pour les juments. Les piles électriques cumulant « sang » et « caractère » font souvent des chevaux de sport consternants mais des mères exceptionnelles, en CSO les filles de Jalisco sont célèbres, en dressage celles de Weltmeyer dominent le dressage actuel.
Il est aussi prouvé que la concentration de champions dans les collatéraux (oncles/tantes/cousins) augmente la probabilité de succès. C’est pour cela que la plupart des éleveurs sont obnubilés par les « lignées maternelles », c’est pour cela que quand on est séduit par un jeune play boy, il faut s’assurer que ses demi frères et sœurs, cousin, oncles sont assez nombreux en grand prix.
La profondeur et la densité en champions est un critère essentiel des 2 lignées.
Le Dosage
Un officier français du nom de JJ Vuillier, à la fin du 19ème, a travaillé sur les pedigrees de PS sur 12 générations pour trancher le débat entre qui d’Eclipse et d’Hérod est l’étalon fondateur de la race. Il arriva au résultat surprenant que la grande majorité des gagnants de son époque avaient un pourcentage de sang d’Hérod fixe. De fil en aiguille, il détermina deux notions fondamentales :
- Le concept de chef de race
- Le concept de dosage proprement dit
Ces données ont été appliquées scrupuleusement par l’Aga Khan avec le fabuleux succès que l’on connait.
Quoique vous pensiez de ce qui va suivre, je vous invite à prendre en considération que le dosage sur une importante population de chevaux de course permet de déterminer avec une fiabilité autour de 80% sur quelle distance le cheval va être le plus efficace. Pour des chevaux qui ont des carrières aussi courtes, c’est fondamental et dans la nature rien ne donne une corrélation de 80% sans raison.
Le concept de Chef de Race est fondamental, les analyses de Vuilliers et de ses successeurs ont montré qu’en fait très peu de chevaux ont d’influence sur l’évolution d’une race. Certains étalons et certaines (plus rares) juments changent la race pour toujours, c’est à dire qu’un cheval qui n’est pas un de leur « parent » a statistiquement moins de chance de réussir, et parallèlement cela signifie que tous les étalons et juments qui ne sont pas des chefs de race n’ont globalement pas d’importance.
Dans le dressage, par exemple, Donnerhall est l’exemple type du chef de race, ses fils De niro et Don schuffro, je pense, vont atteindre aussi ce titre, tous les autres sont des non évènements génétiques, de simples transmetteurs de gènes majeurs…
A contrario, au bout d’un moment quand un étalon est si important que tous les chevaux de la discipline l’ont dans leur pedigree plus ou moins loin, il perd de son importance, il ne fait plus « la différence ».
Imbreeding
La base de tout élevage est d’assurer génération après génération la fixité de certaines qualités et l’élimination des défauts.
L’éleveur professionnel cherche a élever, de génération en génération, la qualité moyenne. Il une cherche pas le crack qui est par définition une exception.
Dans tous les secteurs agricoles cela est atteint par l’alternance de l’imbreeding et de l’outcrossing.
L’imbreeding est la répétition des ancêtres dans le pedigree, le but est d’intensifier les qualités présentes dans le génome.
L’outcrossing est l’apport de sang neuf pour améliorer les faiblesses.
L’imbreeding stabilise le type, il assure la qualité moyenne des produits. Le fait que les 2 millions de mustangs que les anglais ont trouvés dans les grandes plaines américaines soit issus des 6 juments perdues par Cortez montre à quel point le cheval supporte ce « cousinage ».
La répétition actuelle de Donnerhall dans les pedigrees des chevaux allemands en est un autre exemple.
La répétition des ancêtres est logiquement plus positive par leurs meilleurs descendants, un cheval n’étant jamais parfait, il faut concentrer dans les pedigrees ses meilleurs fils et filles.
Statistiquement il a été prouvé que les répétition d’ancêtres majeurs (chefs de race) sont plus efficaces sur les 4 et 5ème générations et qu’il faut une lignée mâle et une lignée femelle, si possible pour chaque chef de race.
Les chevaux de dressage actuels sont en pleine évolution, des lignées hyper stabilisées (particulièrement au Hanovre) se heurtent à des lignées plus jeunes (principalement KWPN) issus du CSO et au renouveau des Trakener, le type du cheval de dressage n‘est pas fixé, aujourd’hui l’imbreeding est donc une donnée essentielle pour assurer un niveau de qualité élevé et un résultat prévisible. L’apport de Gribaldi par exemple doit être géré avec circonspection car il apporte un génome totalement étranger.
Certaines mauvaises langues remarquent que l’on ne parle que des étalons, rarement des juments.
Mr RASMUSSEN s’est penché sur la question en se posant la question simple: La répétition des poulinières ayant produit des cracks a t-elle un résultat positif?
L’analyse des générations 1996-2003 des pur sang aux USA montre que 7,1% des chevaux avaient un pedigree correspondant à ce principe.
Ces 7% ont produits 42%de gagnants contre 11% pour la population totale, et parmi eux 15,8% de gagnant de groupe I, ça crème du Galop, contre 3,4% pour l’ensemble des poulinières.
Un écart pareil ne doit jamais rien au hasard.
En affinant ses recherches, RASMUSSEN a défini le RF (RASMUSSEN FACTOR) soit la maximisation de l’influence de l’imbreeding femelle.
1) La femelle doit être entre la 3 ème et 5 ème génération
2) Le pedigree doit être soit en diamant soit en F1
Diamant: le père descend en ligne direct d’un fils de la jument et la mère descend d’elle en ligne directe.
F1: la mère descend toujours de la jument en ligne directe et la mère du père aussi.
Il est donc important de repérer dans nos races les mères exceptionnelles, de les repérer dans les papiers de nos juments et de les recroiser.
Bio mécanique
Il s’agit d’un mot qui fait « chic » pour définir ce que fait la plupart des éleveurs, on compare le physique de la mère et du père pour imaginer celui du poulain.
encore une fois les seules données statistiques viennent du milieu de la course de galop. après des dizaines d’études poussées ils sont arrivés à des conseils de bon sens que pourtant bien peu appliquent.
Pour la course, il faut un parfait équilibre entre la classe de galop, le fond (endurance) et la puissance (souvent liée au poids quand il est stocké dans l’arrière main). Nous pouvons traduire en dressage par correction et nature des allures, force et aptitude au rassemblé par exemple.
Plus en détail, ils ont souligné :
1 – le vrai bon cheval fait tout facilement (ce que nous retrouvons avec les notes de décontraction en concours de dressage)
2 – la puissance est généralement plus facile à transmettre que la classe
3 – trop de puissance engendre des chevaux explosifs qui se blessent s’ils n’ont pas une conformation parfaite (ce que nous retrouvons dans les abus actuels de force et de longues jambes de papiers pur dressage)
4 – un étalon ayant un gros palmarès mais atypique physiquement ne produit bien qu’en imbreed (sur son propre modèle), un bon étalon au physique classique produit en moyenne beaucoup mieux
5 – produire « type to type » c’est à dire avec un étalon qui ressemble à la jument est la meilleure façon d’avoir un résultat prévisible
Nous pouvons appliquer ces conseils en :
1 – ne produire (encore une fois) qu’avec des étalons ayant fait « Grand Prix » ou qui aurait pu le faire
2 – éliminer les étalons au palmarès prestigieux mais au physique atypique
3 – il faut leur présenter des juments qui leur ressemble, il faut que les étalons aient les qualités de la jument plus d’autres, courser des inverses et prier pour que les qualité s’ajoute est comme jouer à la roulette russe sauf s’il on a un vrai recul sur la production du père et de ma mère.
Nicks
Il s’agit du terme anglais pour les croisements de lignées mâle connus pour donner un pourcentage de bon chevaux supérieur à la moyenne.
En croisant certains étalons avec les filles ou petites filles de tel autre on peut constater parfois une heureuse répétition de bons chevaux.
Le Nick gagnant est souvent difficile à prouver car le nombre d’essais infructueux est difficile à quantifier. D’autre part on constate souvent que les Nicks les plus connus sont toujours entre 2 étalons majeurs, or il est certain, nous l’avons vu dans tous les chapitres, que croiser les meilleures lignées ensemble produit mécaniquement de la qualité.
Il est cependant indéniable qu’il y a des lignées qui sont clairement homozygotes sur certaines qualités et que le croisement de 2 lignées homozygotes sur des qualités complémentaires donne un très bon résultat.
Le croisement De Niro avec les descendantes de Weltmeyer occupe un pourcentage incroyable des top ranking mondiaux actuels, De Niro est connu pour son transmettre son aptitude au rassemblé, la qualité de sa soumission, ses changements de pied et Weltmeyer la puissance de son arrière main et un trot allongé spectaculaire. Quand tout s’ajoute, le résultat est extra! Donnerhall à très bien produit avec les filles de Pike Bube qui lui apportaient chic, souplesse et force.
Les Nick sont généralement connus et rapidement surexploités, à l’heure actuelle le croisement de Lord Leatherdale avec les filles de Negro fait fureur en Hollande.
Ce qui est moins connu et plus constructif, est le fait qu’il a été statistiquement prouvé que les Nicks durent dans le temps. Croiser des descendants même lointains de 2 lignées complémentaires marche jusqu’à la 6ème génération. De plus, dans cette perspective, il est même possible de les empiler!
Il est par exemple positif, même aujourd’hui de s’appuyer sur le célèbre Nick « Gotthard/Furioso » alors que ces deux étalons de légende ont depuis longtemps disparus.
Notre jeune « Chopin des Baisses » (San Amour/For Pleasure) compte 3 fois Furioso II (soit 17% du « sang ») et 4 fois Gotthard (11%). Il a d’un coté les tissus exceptionnels, l’endurance et la peau fine que léguait Furioso et de l’autre la force dans le dos, le sang et le « carafon » que léguait Gotthard.
Certains Nick s’expliquent aussi a posteriori en lisant les pédigrées.
Le croisement Jazz / Ferro est celui des deux meilleurs étalons de cette époque mais aussi des 2 meilleures lignées mâles actuelle de Furioso, celle de Furioso II et celle de Le Mexico avec une lignée mâle de Farn et une femelle. Soit deux fois le Nick Furioso/Farn.
Plutôt que des « trucs » anecdotiques, les Nicks font partie de l’histoire d’une race, ils sont son capital qualitatif, l’éleveur doit les connaître, les avoir repérer dans les papiers de ses juments et choisir les étalons en partie pour en maximiser l’effet.
Voici une liste non exhaustive des plus connus en dressage :
- Donnerhall / Pike Bube
- Donnerhall / Rubinstein
- Jazz / Uft
- Jazz / Krack C
- Furioso / Gotthard (marche aussi très bien en CSO)
- Furioso / Farn
- Sandro hit / Rubinstein
- Grande / Duellant
- Bollero / Grande
- Bolero / Duellant
- Hohenstein / Weltmeyer
- De Niro / Weltmeyer
- Lauries Crusador / Weltmeyer
Lord Leatherdale / Negro